Les enseignants se heurtent, comme dans tous les métiers, à des dilemmes de travail. Ceux-ci constituent la trame habituelle de l’activité professionnelle : il faut opter à chaque instant, dans des situations plus ou moins problématiques, entre plusieurs possibilités d’action. Opter le plus souvent immédiatement, sans avoir le temps ni les moyens de la délibération réfléchie, en mobilisant de façon plus ou moins perçue son expérience, ses ressources, son imagination.
Les recherches menées par Jean-Luc Roger du CNAM dans le cadre du partenariat avec le SNES, montrent qu’aujourd’hui, dans le quotidien de l’activité enseignante, les dilemmes se multiplient, se durcissent et deviennent plus difficiles à surmonter.
Certains tiennent à la classe. Par exemple, quoi faire et comment le faire quand un élève perturbe le travail de la classe ? L’ignorer ? S’adresser à lui - comment ? S’interrompre ? Continuer avec le reste de la classe comme si de rien n’était ? Tourner la difficulté d’une autre façon - laquelle ? Ou encore, que faire à certains moments avec les règles qu’on a mises en place pour faire fonctionner la classe ? Faut-il les appliquer ? Les relativiser ? Les ignorer ? Doit-on dans certaines circonstances maintenir le rythme du cours ou au contraire prendre son temps ?...
Par ailleurs, d’autres dilemmes se situent dans un cadre plus large : dans ses rapports avec l’administration, à quelles sollicitations faut-il répondre et lesquelles refuser, sachant qu’elles sont maintenant envoyées via la messagerie professionnelle et qu’on peut se trouver seul face à l’écran, sans possibilité d’en discuter avec les pairs ? Comment se comporter et faire avec les nouvelles injonctions ? Quand on est débordé, que privilégier dans son activité : préparer ses cours ? Corriger ses copies ? Assister à une réunion qui n’était pas prévue ? Répondre à tous les mails ?... La messagerie intégrée aux espaces numériques de travail nous met également en relation directe avec les parents et d’une manière générale, la multiplication des dispositifs nous met en contact avec des interlocuteurs de plus en plus diversifiés… et parfois inconnus.
Ces dilemmes se présentent donc désormais dans des configurations qui rendent difficile de s’y retrouver et d’en sortir de façon satisfaisante. Ainsi, les obstacles, les empêchements à agir comme il le faudrait, se multiplient. On est de plus en plus souvent conduits à ne pas arriver à faire ce que l’on voulait faire, à faire ce qu’on ne voulait pas faire, à refaire ce qu’on a déjà fait sans parvenir à mieux le faire… Les conséquences pour les personnes sont graves : ne pas arriver à avoir prise sur son travail peut se retourner contre soi-même, avec une altération de la santé psychique ou physique. Mais cela se retourne aussi contre le métier. L’engagement professionnel s’érode quand on ne trouve plus assez de raisons d’être satisfait de son travail et qu’on est au bord de la saturation.
L’enjeu des collectifs métiers du SNES est donc de continuer à identifier les dilemmes de métier et à les instruire, afin de développer une expertise sur notre propre métier et de mettre l’institution devant ses responsabilités en ce qui concerne les besoins de formation, les prescriptions (quand elles ne correspondent pas au réel de l’activité) et enfin la nécessité d’un dialogue avec les professionnels sur les critères de qualité du travail.
Source : Jean-Luc Roger, « Comment affronter l’actuelle crise du travail enseignant ? », Communication au colloque Collège organisé par le SNES, 5-6 avril 2011.