1. Qu’est-ce que tu trouves compliqué dans ton métier et quelles situations te posaient le plus difficultés ou t’en posent encore régulièrement ? Dans la classe ? Dans le travail de préparation et/ou de correction ? Dans le travail en établissement ?
Ce que je trouve compliqué dans mon métier :
– la multiplication des tâches autres que « faire cours ». Il me semble que la demande institutionnelle a changé. Un professeur qui fait « seulement » son cours, ce n’est plus suffisant aux yeux de l’institution. Le prof est devenu une sorte de « sur-homme » (ou « sur-femme » le plus souvent…) qui doit faire cours, s’investir dans les projets, les parcours, l’informatique, être en lien avec les parents sur MBN, avec l’équipe pédagogique,
participer à des actions, des journées de ceci des concours de cela, Pix, l’Assr, les ESS, les commissions de vie éducative, la réunion Foccale etc.
– Les difficultés : accepter de ne pas répondre aux injonctions institutionnelles sans penser que je suis un « mauvais » prof. [...]
– les difficultés dans la classe : bien sûr la gestion de classe reste un point central dans mes préoccupations quotidiennes. J’ai longtemps cherché des réponses « toutes faites », voire institutionnelles. J’ai été très déçue quand, en tout début de carrière, j’ai compris que cette thématique était un « non-sujet » pour l’institution, alors que pour moi c’était LA question primordiale. J’avais une trouille bleue d’être la prof qu’on chahute !
Pour moi cela reste un échec cuisant de l’Education Nationale d’être en incapacité de comprendre cet aspect du métier et ce qu’est le métier d’enseignant de terrain, voire même, le plus souvent, de nier qu’il y ait véritablement un métier d’enseigner qui pourrait de transmettre avec ses gestes, ses techniques. Enseigner ne serait qu’appliquer des méthodes validées par on ne sait quel pédagogue de service. Il n’y a qu’à voir l’indigence de la formation… L’idée latente que gérer une classe ne s’apprend pas mais s’intuitionne (désolée pour le néologisme) et qu’on a le charisme ou le feeling pour le faire ou pas me fait me sentir en insécurité encore aujourd’hui sur ce sujet après 26 ans de carrière et des classes tenues le plus souvent (et oui parfois ça dérape quand même) avec fermeté.
Autre difficulté, plus récente, qui est aussi finalement une sorte d’insécurité. Elle est technique. Du point de vue pédagogique j’ai arrêté d’écouter les consignes de bonnes pratiques qui nous font tout remettre à terre tous les 2 /3 ans en me basant que cette idée : soit je fais du mauvais boulot depuis 26 ans et il est irresponsable de me laisser continuer ainsi (mais personne ne m’a informée de mon incompétence…), soit je considère que je sais ce qui est bon pour mes élèves, que je suis capable de me tenir informée des nouveautés et de juger si elles correspondent à des besoins de mes élèves ou pas et donc que je n’ai pas à me plier à des injonctions que je trouve inadaptées. Mais comme je disais, c’est du point de vue technique que je suis parfois déstabilisée. J’ai transformé ma manière d’enseigner en faisant entrer (à petits pas et avec modération au départ) les outils informatiques et numériques. Aujourd’hui mes cours suivent un diaporama, j’utilise des extraits vidéos etc…
bref rien d’extraordinaire mais passer à cela m’a demandé au cours des années beaucoup de boulot ! Alors quand j’arrive dans une salle (actuellement je travaille dans 4 salles différentes) que la session informatique met 7 ou 8 minutes à s’allumer, que dans une autre salle la télécommande du vidéoprojecteur fonctionne aléatoirement, qu’ailleurs je projette au-dessus du tableau (pas de possibilité d’écrire sur le document au tableau blanc), que dans telle salle mes diaporamas sont tout décalés parce-que les logiciels n’ont pas tous la même version ou qu’il faut un pdf parce que je ne sais pas pourquoi il n’y a que cela qui fonctionne…et j’allais
oublier les enceintes pourries dont il faut tenir le bouton du son en continu pendant la vidéo par ce qu’il y a un faux contact quelque part…Et bien à la fin de la journée je suis dans un état de fatigue nerveuse intense !
– Préparation et correction : pour les préparations mon travail est facilité par l’abondance des propositions des collègues en ligne. Avant ce développement, je travaillais seule avec mes manuels sans possibilité de comparer mon travail ou de l’enrichir au contact de celui de mes collègues. Maintenant c’est la partie de mon travail que je préfère ! Pour les corrections, je me pose encore et toujours les mêmes questions qu’en début de carrière !
comment noter (ou pas) l’orthographe ? Quel est vraiment l’impact de mes appréciations ? est-ce que ça sert vraiment de faire des corrections ? J’ai mis en place des réponses mais je doute toujours…
2. Avant de participer à un collectif de travail sur le travail de quelles ressources disposais-tu pour t’appuyer dans ta pratique professionnelle/ l’exercice de ton métier ? Vers qui ou quoi te tournais-tu pour tenter de surmonter ce qui te paraissait difficile ?
Avant de participer à un collectif de travail, je m’appuyais sur des publications institutionnelles qui relataient des expériences ou des situations de collègues de ma matière pour trouver des pistes et des réponses face aux difficultés rencontrées. Même si certaines de ces ressources étaient intéressantes, leur intérêt était limité par l’absence d’interactivité et par le côté très lisse des situations (déconnexion des réalités de terrain).
Face à une difficulté, mon réflexe était de me tourner vers les collègues de mon établissement avec lesquels j’ai une relation de confiance. |...] Les collègues de ma matière étaient très « vieille école » ne partageant ni leurs ressources pédagogiques, ni leur expérience personnelle du métier (juste des commentaires sur les élèves pénibles en fait). Depuis quelques années, j’ai une collègue plus jeune et beaucoup plus ouverte à la discussion.
Malheureusement, on ne fait souvent que se croiser à la récréation, ou on s’envoie des documents par mail, mais les échanges restent finalement limités et visent surtout à gérer le quotidien. […]
3. Qu’est-ce que le collectif a pu t’apporter aussi dans ta pratique professionnelle/ l’exercice de ton métier ? En quoi est-ce un dispositif complémentaire, nouveau ou différent par rapport à ce dont tu disposais avant ?
Donc, grâce au collectif, j’ai trouvé un lieu d’échanges avec des collègues de ma matière, qui vivent les mêmes réalités de terrain, avec lesquels on peut comparer nos pratiques. Il y a les journées de stage et donc du temps pour parler, réfléchir. L’avantage est qu’il n’y a pas de regard descendant et donc pas de jugement sur ce que chacun fait. Il y a une réflexivité très intéressante et déculpabilisante. [...] Chacun est libre de raconter, de poser des questions pour creuser une situation. On décortique les situations pour faire émerger nos représentations, nos difficultés, nos solutions. On s’écoute, on s’inspire des autres. Ce que je retiens le plus à l’issue de ma participation au collectif, c’est qu’être prof ce n’est pas se couler dans un moule. Je vois derrière chacun des collègues qui participent à ce collectif une personnalité riche, différente de la mienne. Je vois des stratégies mises en place auxquelles je n’aurais pas pensé par moi-même. Je vois des manières de faire différentes mais qui
ont toutes le même objectif : bien faire son boulot. Je trouve que c’est une richesse formidable d’avoir autant de variété, qu’à partir d’un commun : un programme avec quelques méthodes liées à notre discipline, on puisse imaginer autant de façons différentes de les mettre en œuvre. Je trouve réconfortant de faire partie de cette « famille » de prof de ma matière qui œuvre avec courage et imagination pour transmettre. Et ce qui me
désole, c’est que tous les collègues ne puissent pas avoir accès à ce genre d’espace d’échanges.
4. Les échanges dans les collectifs ont-ils abordé ou mis en mots des dilemmes professionnels que tu rencontrais ? Un exemple ou deux ? Les échanges et leurs suites ont-ils permis une évolution de ta position dans ce/ces dilemme/s ?
Pour moi, il y a deux choses fondamentales qui m’ont été apportées par les pratiques du collectif.
La première chose c’est un regard réflexif sur ma propre pratique grâce à l’enregistrement audio d’une séance de cours avec écoute par les pairs. Cela a été à la fois une expérience pénible et étonnante. Je ne m’étais jamais entendue faire cours ! Grâce à l’écoute commune par des collègues qui vivent dans des classes au quotidien comme moi, je ne me suis pas sentie dévalorisée par les choses qui ne fonctionnaient pas dans ma classe comme je le voulais. Au contraire avec les questions et les commentaires j’ai finalement entendu dans
cette séquence une professionnelle qui faisait face à des difficultés plus ou moins inattendues et qui mettait en place des solutions, des actions. C’est une activité qui m’a beaucoup donné confiance en le fait d’être une professionnelle. Or je ne m’étais tout simplement jamais même pensée ainsi !
Et c’est la deuxième chose que les échanges m’ont apporté qui « révolutionne » ma pratique. Je pensais qu’être prof c’était connaitre (un peu) une discipline et la transmettre par quelques méthodes éprouvées et donc que « tout le monde pouvait le faire » et que de facto, enseigner ne demandait pas de compétences particulières.
Seulement, avec cette manière de voir les choses, je me sentais dévalorisée (« ah, je ne pourrais jamais rien faire d’autre que prof, je ne sais rien faire.. »). Avec le collectif (instructions en miroir) et aussi un stage sur le néo-management auquel j’ai participé, j’ai découvert que , bien au contraire, que lorsque j’enseigne, je mets en œuvre un grand nombre de compétences, variées, dans un temps très contraint, avec une capacité d’adaptation forte. Que créer du contenu, capter l’attention et la maintenir était aussi une compétence que j’avais etc. Bref, je me suis sentie plus sûre de moi. Le collectif nous fait nous réapproprier notre métier. Nous sommes des professionnels qualifiés, compétents, imaginatifs, nous possédons des savoir-faire de valeur, bref nous
sommes une richesse sur laquelle il faut s’appuyer !