Vous est-il déjà arrivé pendant une heure de cours de vous rendre compte que vous auriez du mal à faire ce qui était prévu parce que vous constatez que trop d’élèves n’ont pas les acquis sur lesquels vous pensiez vous appuyer ?
Les professeurs de langues vivantes rencontrent ce problème quand ils veulent aborder un point grammatical alors que de nombreux élèves ne le maîtrisent pas en Français. Les professeurs de Français en collège affrontent cette difficulté quand ils doivent travailler les différents temps du passé, que les élèves de 6e appellent indistinctement « passé ». En Mathématiques, aborder le théorème de Thalès impliquant des égalités formelles d’écritures fractionnaires alors que la seule notion de fraction pose encore problème à un certain nombre d’élèves de 3e.
Et là, que faites-vous ?
Vous avancez quand même parce que vous êtes pris par le temps et que certains sont au point, au risque de perdre une partie de la classe ? Vous reprenez les prérequis en risquant de perdre l’attention de ceux qui savent déjà ? Vous prendrez une décision dans l’action en quelques secondes, en fonction de votre expérience, des élèves, de l’ambiance de travail à ce moment, des attentes de l’inspection, des parents d’élèves… et de votre énergie ! Avec l’expérience on se fait moins surprendre mais le dilemme se déplace sur la préparation de cours : dans quelle mesure j’intègre un retour sur des notions ou méthodes qui ne sont pas au programme ? Le même dilemme se présente quand on hésite à trier ce qu’on doit enseigner compte tenu du manque de temps : à quelles ellipses consentir sans altérer la saveur du savoir ?
Cette notion de dilemme de métier a été étudiée par l’équipe « clinique de l’activité » du CNAM dirigée par Yves Clot (Psychologue du travail) et à laquelle appartient Pascal Simonet, qui était intervenu lors d’un stage du SNES Toulouse en septembre 2018.
Les échanges au sein de collectifs de pairs permettent de faire émerger ces dilemmes propres à l’ensemble d’un métier et d’échanger sur les manières de les résoudre... Ce qui questionne les critères de qualité du travail, lesquels ne font pas l’unanimité. C’est en les discutant collectivement que l’on peut lutter contre la « précarisation subjective » (Danièle Linhart, sociologue du travail), due à la modification incessante des cadres structurant notre activité, qui nous impose une adaptation continue au changement et donc une permanente insécurité professionnelle.
Les groupes métiers du SNES offrent ainsi la ressource du collectif pour éviter de se retrouver seul face aux injonctions changeantes, multiples et parfois contradictoires.
Article paru dans le Bulletin syndical de janvier 2019.