Nouvelle évaluation des EPLE : de quoi s’agit-il ?
Dans l’académie, 20% des établissements enclenchent chaque année un processus nouveau d’évaluation des politiques d’établissements, conséquence des dispositions prévues par la Loi pour l’Ecole de la confiance, voulue par JM Blanquer. A terme, tous les établissements de l’académie (et de France) sont appelés à être évalués ainsi en l’espace de 5 ans.
Sur la forme, alors que les établissements et leur fonctionnement sont toujours largement impactés par la gestion de la crise sanitaire et ses effets aussi bien sur les personnels, les élèves, et les apprentissages, le SNES-FSU estime qu’il n’y a toujours aucune urgence à enclencher ce dispositif. Entre la fin d’année civile toujours chargée avec les conseils de classe, les réunions avec les parents d’élèves, le moment est particulièrement mal choisi pour engager cette méthode nouvelle de suivi des établissements : les collègues sont exténués, eux qui portent à bout de bras le système éducatif depuis de très longs mois de crise sanitaire.
La méthode présentée étant assise sur une participation des collègues à ce qui pourrait rapidement devenir lourd et chronophage, le SNES-FSU appelle à retarder les travaux liés à l’évaluation des établissements, en intervenant auprès des directions, et en interpellant les parents d’élèves sur les raisons qu’il y a à prioriser l’action des personnels sur les besoins actuels des élèves, particulièrement flagrants, et les moyens nécessaires à leur réussite.
Sur le fond, la nouvelle évaluation des EPLE entend imposer des logiques issues du nouveau management public, qui ne sont pas sans conséquences sur les établissements, et, à travers eux, sur les personnels. Reprenant l’apparence des projets d’établissements et une partie de leur méthode d’élaboration, et amplifiant la portée des Contrats d’objectifs qui lient les EPLE et l’académie, elle entend aller toujours plus loin dans la logique de transformation profonde des Services publics.
Une vielle logique, de vielles ficelles
Réactivation de procédés anciens
Les contrats d’objectifs sont obligatoires depuis 2005. Ils introduisaient dans le Service public d’Education la culture de la performance (mesurée par des indicateurs et des attendus) et de la responsabilité (rendre compte de l’utilisation des moyens). Ils ont été déjà complété par les Contrats d’Objectifs, qui contractualisent des moyens et conditionnent leur attribution.
Au-delà d’une rationalisation des dépenses, il s’agit de changer de paradigme : à la logique des moyens se substitue celle des résultats (pourquoi donner plus quand les résultats restent « bons » avec moins ? Pourquoi donner plus quand de toute façon les résultats sont « mauvais » ?).
Ce pilotage par contrat d’objectifs, souvent lié aux lettres de mission des chefs d’établissement, peut les conduire à mettre l’accent sur telle ou telle aspect et à chercher à imposer leurs choix comme solution à tous les problèmes : développer les projets, le soutien, l’orientation vers telle ou telle voie, etc.
Orienter l’évaluation, les réponses locales aux problématiques locales, peut leur permettre d’atteindre les objectifs fixés par leurs lettres de mission, parfois au prix de maquillage de chiffres (logique "du chiffre") ou en privilégiant des intérêts locaux particuliers plus en capacité d’exercer des pressions locales, bien loin des valeurs du Service public, et notamment celle d’égalité dans l’accès à l’Education, d’équité de traitement des usagers, etc.
Le SNES-FSU appelle les collègues à demander le contenu des lettres de mission des Chefs d’établissements, pour connaître les intentions réelles de l’institution à l’entrée dans le dispositif d’évaluation. Dans le contexte de l’évaluation des établissements, il est intéressant d’en prendre connaissance : cela permettra de mettre en lumière les diagnostiques posés a priori par l’institution, les lignes de force des évolutions attendues, et de les identifier pour mieux les circonscrire.
Un renversement de logique
L’objectif est de passer d’une logique d’obligations de moyens (avec des résultats en conséquence) à une logique d’obligation de résultats (sans que ne soit plus posée la question des moyens à engager pour y parvenir). Ce changement fondamental de paradigme permet de dédouaner l’institution et ses pilotes de l’obligation de "faire suivre l’intendance", en renvoyant la responsabilité de trouver, dans chaque établissement, une organisation ou des décisions d’action pour "optimiser" l’utilisation des moyens attribués.
Ce n’est pas neutre, et très concrètement, cela signifie, par exemple, qu’en cas de hausse d’effectifs, on ne cherchera pas nécessairement à abonder un établissement en moyens pour y faire face, mais qu’on l’encouragera plutôt à instaurer une organisation différente pour couvrir le besoin nouveau, à coût constant.
Cette logique est déjà à l’oeuvre depuis une dizaine d’années, sous des formes diverses : heures flottantes en lycée depuis 2010, en collège depuis 2016 ; calcul de la dotation des lycées de l’académie (sur la base de 36 élèves par classe contre 35 auparavant, puisque cela ne gêne pas l’organisation et le fonctionnement de l’établissement, sommé de s’adapter) ; réforme du collège, avec l’organisation d’enseignements non fléchés, décidés par les équipes, en fonction des réalités locales, ou du lycée, avec le choix entre carte des formations élargis et possibilité de dédoublements.
Des dérives bien connues
Cette contractualisation n’engage en réalité que les acteurs de l’établissement et généralement dédouane l’institution, et notamment les échelons supérieurs dans leur ensemble : il n’y a en général strictement aucun moyen supplémentaire à distribuer en fonction des « performances » de l’établissement. La logique est plutôt de "faire mieux avec toujours moins".
On sait ce que cela produit concrètement dans les classes... et les conséquence possibles sur les équipes et les personnels :
– culpabilisation des équipes voire des personnels quand les objectifs/attendus ne sont pas atteints (mais jusqu’à quel point est-on personnellement responsable de la réussite de nos élèves ?)
– pression et focalisation sur des objectifs de réussite à court terme ;
– dépossession de la maîtrise de certaines attitudes professionnelles, instauration de cadres collectifs plus contraignants ou en opposition à la liberté pédagogique pourtant garantie à chaque professeur ;
– adaptations locales au détriment de la sauvegarde et de la mise en oeuvre des cadres nationaux (renforcée par le poids local des examens, notamment dans le cadre du baccalauréat Blanquer) ;
– concurrence accrue entre les établissements, individualisation des réponses éducatives aux seuls publics locaux, au détriment des enjeux de culture scolaire commune.
Des effets amplifiés par la nouvelle évaluation
La nouvelle forme d’évaluation des EPLE entend inscrire dans le marbre ces évolutions, et aller encore plus loin dans les possibilités de dérégulations locales : c’est donc un enjeu important pour nos métiers, nos conditions de travail, et le système éducatif tout entier, ses objectifs, ses moyens et sont organisation.
Le SNES-FSU appelle à des actions collectives et concertées pour prendre conscience de ce qui se joue désormais avec la nouvelle évaluation des EPLE.
Quelle mise en place, quelle organisation concrète ?
Au cours d’une année d’évaluation, deux temps principaux sont à distinguer :
Le temps de l’auto-évaluation (de décembre à mars) :
– Le comité de pilotage : il comporte des enseignants mais aussi des membres de l’équipe de vie scolaire dont le ou la CPE. Son travail est assez lourd car les réunions sont fréquentes durant toute la partie d’auto-évaluation. Il est risqué de laisser le chef d’établissement choisir les membres du personnel enseignant qui y participent car certains ne sont jamais à court d’idées, idées très personnelles, qui impactent ensuite l’ensemble des collègues.
– Des enquêtes peuvent être organisées, soit sur la base de questionnements locaux, soit sur des bases standardisées, fournies aux personnels de direction. Il peut s’agir d’interroger les personnels enseignants ou de vie scolaire, les personnels administratifs, les élèves ou les parents d’élèves.
– Les commissions : elles réunissent l’ensemble des personnels sur du temps banalisé, pour des temps de synthèse.
Cette auto-évaluation débouche sur un diagnostic et sur des préconisations. Une phase d’évaluation externe suit cette première phase.
Le temps de l’évaluation externe
Le premier temps est ensuite prolongé par ce second temps, qui comprend la visite et le compte-rendu des évaluateurs externes (équipe composée d’IPR, de personnels de direction et de personnels d’enseignement et d’éducation), à la suite de leur passage pendant 2 jours consécutifs dans l’établissement (observations, entretiens, etc.).
A l’issu de ce temps, un échange est prévu sur le projet d’évaluation finale, et l’établissement peut y apporter des observations, avant que l’évaluation ne soit complètement arrêtée.
Le temps de la mise en oeuvre des politiques locales découlant de l’évaluation
A partir de l’évaluation, une feuille de route est tracée à l’établissement, jusqu’à la prochaine phase d’évaluation.
Des axes de travail imposés
4 axes sont obligatoirement prévus à l’évaluation, qu’il convient de bien cerner et dont les enjeux doivent être précisés. Ils sont nourris des travaux des commissions constituées localement : il convient donc d’être particulièrement vigilant sur ce qui s’y est dit.
Les axes proposés à la réflexion dans le cadre de l’évaluation sont les suivants :
- Axe 1 : les apprentissages et parcours des élèves, l’enseignement
Gardons à l’esprit que le but premier de cette campagne d’évaluation sur 5 ans est de poursuivre, voire d’accélérer, la transformation de nos métiers et nos missions (le guide en ligne s’intéresse d’ailleurs beaucoup à la question du fonctionnement d’un établissement dans un contexte « dégradé »).
- Axe 2 : vie et bien-être de l’élève, climat scolaire
Quelle prise réelle avons-nous sur le bâti, l’entretien et l’équipement d’un établissement ? L’évaluation sera-t-elle seulement transmise aux collectivités territoriales qui sont décisionnaires en la matière ? Comment passer sous silence les conditions de travail des élèves, mais aussi et surtout des personnels, véritable angle mort du questionnement ? Comment ne pas dénoncer les hausse des effectifs qui jouent directement sur le cadre de vie et d’étude des élèves ?
Les conditions de travail des personnels dépendent aussi des garanties collectives apportées par le cadre institutionnel, qui est sans rapport avec le contexte local : ce sont les obligations réglementaires de service, les programmes et horaires disciplinaires, le cadre des examens, les réformes imposées, etc.
- Axe 3 : les acteurs, la stratégie et le fonctionnement de l’établissement :
Le questionnement envisage en creux de considérer l’établissement comme devant définir une stratégie propre, voire se singulariser, et ainsi entrer dans une logique de concurrence qui n’est pas dans les valeurs fondamentales du Service public : il ne s’agit pas de choisir nos élèves, ou de privilégier tel ou tel public, mais de répondre aux enjeux éducatifs communs, pour tous les publics accueillis... Chaque établissement est-il en train de devenir une petite entreprise dans laquelle chacun agit comme dans un système concurrentiel, et devrait témoigner de sa "performance" pour conquérir des "marchés scolaires" ? S’agit-il de renforcer le "sentiment d’appartenance" à l’établissement, à grand coup de discours sur les bienfaits de l’autonomie des EPLE ?
- Axe 4 : l’établissement dans son environnement institutionnel et partenarial : sans moyens supplémentaires accordés par l’institution, que peut-on réellement améliorer ? L’institution finance-t-elle déjà correctement l’existant dans l’établissement ? Il est symptomatique que la question des moyens attribués soit évacuée par la formulation de cet axe.
En ce qui concerne les liaisons partenariales, elles sont aussi des vecteurs possibles de l’intrusion de structures étrangères à la culture professionnelle qui est la nôtre, et dont les valeurs doivent être questionnées : fondations d’entreprises, formes diverses de publicités (pour des métiers, des ressources, des biens, ...), logiques d’externalisation de missions assurées par l’Etat car normalement de son ressort (orientation, kits pédagogiques, etc.), injonctions émanant des collectivités territoriales, au-delà de leurs missions (par exemple, Label Numérique de la Région, qui entend peser sur les pratiques pédagogiques)
- Un cinquième axe peut localement s’ajouter, si l’établissement le pense nécessaire au vu d’une particularité forte, qu’il souhaite mettre en avant et valoriser.
Il s’agit là d’une possibilité supplémentaire de dérive, puisque l’évaluation de cette particularité ne manquera pas de faire ressortir ce en quoi l’établissement est différent des autres. Cela contrinue à alimenter encore les compétitions entre établissements, voire faire émerger un sentiment d’appartenance à un établissement singulier...
L’illusion d’une démarche "participative" des personnels
S’interroger sur le fonctionnement d’un établissement et des problématiques locales n’est évidemment pas dénué d’intérêt ... mais la procédure participative ne doit tromper personne : le cadre collectif est aujourd’hui systématiquement malmené, par un éclatement des équipes des EPLE, par tout une série de dispositifs, en collège comme en lycée : attribution des moyens disciplinaires dans un cadre flottant et qui conduit invariablement à des crispations ; multiplication des compléments de service "à cheval" ; développement de la précarité ; multiplicité des tâches supplémentaires ouvrant droit à des rémunérations complémentaires et concurrentes (IMP, HSE, ...) ; absence persistante de reconnaissance des dimensions collectives de nos métiers (par exemple dans le cadre de services réduisant la présence en classe au profit de temps de concertation)
Il en est de même au niveau des instances de dialogue avec l’institution où, sur les questions de politiques éducatives et de moyens, comme sur la gestion des carrières des personnels, la Loi de transformation de la Fonction publique marginalise les représentants des personnels, et fait disparaître les cadres collectifs qui sont les plus protecteurs.
A tous les niveaux, on empêche les formes réellement collectives de débat et d’intervention d’émerger ou de se concrétiser, pour au contraire créer des sources de tensions entre les individus, les équipes disciplinaires et/ou de classe, entre établissements. Qui peut croire à la sincérité de la démarche ?
Quel regard sur le dispositif ? Quelles actions ?
Ne pas perdre de vue que le système actuel de répartition des moyens fonctionne en vase clos, et dans un cadre de réduction des dépenses publiques et de suppression de postes : accorder plus aux uns, c’est nécessairement prendre aux autres ; chercher à optimiser les moyens, c’est se couper de la légitime revendication à demander davantage. Il y a donc vraisemblablement peu à attendre de cette évaluation pour les personnels, mais beaucoup de risques à prendre en y participant sans bien en mesurer les enjeux : le risque est bien réel de ne voir sortir de tout cela qu’un renforcement des politiques managériales déjà largement à l’œuvre et qui pèsent de plus en plus sur chacun d’entre nous. Cela peut conduire à proposer / accepter / se voir imposer des missions supplémentaires ; renforcer des dispositifs existants en empilant toujours plus d’heures supplémentaires ; imposer tel ou tel type de pédagogie ou de choix pédagogiques alors que la liberté pédagogique est encore un élément de nos conditions de travail sur lequel nous gardons la main, etc.
En conséquence, le SNES-FSU appelle les équipes des établissements :
– à refuser d’entrer dans la démarche d’auto-évaluation, qui, se déroulant hors temps de travail, ne peut de ce fait être imposée ;
– à veiller à ce que les enquêtes réalisées auprès des élèves et de leurs parents, censées nourrir l’auto-évaluation, ne se transforme en évaluation des équipes des établissements ;
– à porter plutôt les demandes collectives relatives aux moyens nécessaires à l’établissement pour améliorer concrètement son fonctionnement.