Interrogé sur France Inter le 28/03/19, sans contradiction, le Ministre de l’Education Nationale s’est laissé aller à une communication débridée. Entre autres imprécisions et contre-vérités, il a affirmé que son projet de Loi « Pour l’Ecole de la Confiance » contenait une mesure – la création des Etablissements Publics des Savoirs Fondamentaux, EPSF – qui serait selon lui mal comprise, et qui permettrait même de « sauver des écoles rurales » en les fusionnant de fait avec leur collège de secteur. Le SNES-FSU Toulouse a mené son enquête ...
Un ministre "moderne" avec de très vielles idées
Pour le SNES-FSU, le projet de création des Etablissements des Savoirs Fondamentaux a surtout pour but de remettre en avant un projet qu’il combat depuis des années : celui de l’Ecole du Socle. Ce concept fait fi des besoins des élèves devenus pratiquement adolescents, et de leurs besoins d’approfondissement des disciplines, encadrés par des professeurs spécialistes à la fois de leur discipline, des apprentissages spécifiques qui y sont reliés, et des processus d’apprentissage propres des adolescents. Il ne s’agit pas de remettre en cause la compétence professionnelle des Professeurs des Ecoles : ils sont parfaitement à même de faire progresser leurs élèves. Mais il vient un moment où la masse de connaissances, la didactique propre à chaque discipline scolaire, l’évolution de l’enfant vers l’adolescence, nécessitent d’autres professionnels des apprentissages, plus spécialisés sur un champ disciplinaire. Tout simplement. Cette remarque de bon sens devrait suffire à disqualifier tout projet tendant à créer une école unique qui couvrirait la scolarité de 6 à 15 ans.
Le Ministre, comme certains de ces prédécesseurs, a pourtant fait le choix de promouvoir ce type de structure, mais au nom d’une autre logique, comptable et budgétaire. La création de tels établissements permet en effet d’atteindre un nombre d’élèves par classe bien plus conséquent, donc d’économiser des professeurs ; au passage, de permettre une dilution des compétences des collègues des premier et second degré, qui favorise évidemment une gestion plus souple, et de nouvelles économies.
Regarder la réalité en face
Le Ministre ayant pris l’exemple d’une expérimentation réalisée en Ariège, qui aurait permis de sauver de petites écoles rurales, le SNES-FSU est allé voir de plus près – contrairement au Ministre - de quoi il retournait.
Le bilan est sans appel : d’abord, aucune école n’a pu être sauvée par le dispositif expérimental tant vanté. Au contraire, quelques mois après la mise en place du dispositif, une école, et ses deux classes, ont disparu. Et l’administration a, durant l’expérimentation même, déjà économisé un demi-poste de professeur ! En outre, le projet ne fonctionnait – et encore, dans quelles conditions, comme on le verra ci-dessous – que grâce à des moyens supplémentaires accordés au collège… L’administration ayant fait elle-même le constat de l’absence de plus-value pour les élèves, elle a repris les moyens après trois ans d’expérimentation, mettant ainsi fin au projet « miraculeux » : les collègues mobilisés par le projet n’ont pas souhaité continuer à bricoler des solutions qui n’en n’étaient pas, sans même quelques moyens dédiés.
Bricolages pédagogiques
Ensuite, et c’est plus grave, les montages pédagogiques hasardeux qui ont été opérés avaient tout du bricolage. En voici le détail :
– Intervention conjointe dans la classe de Français - 1h par semaine – du professeur de français et du professeur des Ecoles ; dédoublement, 1h par semaine également, en 2 demi-classes pour le professeur de français, et le collègue de l’élémentaire. Ce qui suppose un lourd travail collectif de préparation et d’ajustement, afin d’assurer une bonne coordination dans la progression, dans les apprentissages, et l’évaluation.
– regroupement de classes de CM1/CM2/ 6e, mélangées, puis partagées en deux, 1h par semaine, en anglais, un groupe étant pris en charge par le collègue d’anglais, l’autre par le professeur des écoles. Ce dernier n’ayant reçu aucune formation spécifique, il n’a pu proposer aux élèves de 6e que des points qu’il maîtrisait, mais que, par définition, les élèves avaient déjà abordés avant… Sans parler que la qualification des professeurs des écoles en anglais, compte tenu des faibles horaires de formation initiale qu’elle suppose, ne peur rivaliser avec un titulaire d’une licence d’anglais…
– 1h par semaine, les élèves de 6e allaient, en autonomie totale (à 11 ans, rappelons-le) au CDI du collège, l’autre moitié bénéficiant de soutien en mathématiques, assuré par le collègue professeur des écoles, dont la formation n’a par définition, jamais abordé ce niveau, et ne connaît donc que très mal le programme, ses difficultés didactiques, et les besoins des élèves, qu’il n’a pas en classe entière le reste du temps.
– enfin, à deux ou trois reprises durant l’année, 1h d’Enseignement Intégré de Culture Humaniste, a été organisée, pour les CM1 du collègues professeur des écoles … mais mélangés avec les 5es. Partagés en 3 groupes, encadré par le collègue et professeur d’histoire et le professeur documentaliste, les élèves devaient travailler sur l’Histoire de l’art. Fort bien ! Mais durant ce temps de classe, les CM2 de notre collègue professeur des écoles se retrouvaient en autonomie. Il a même été officiellement conseillé à ce collègue de leur faire faire un travail dans la salle à côté … et donc les laisser seuls ! Certes, l’Histoire de l’art est importante. Mais cet enseignement est-il réellement celui qui nécessite qu’on travaille en priorité en petits groupes, le collègue faisait face à des enfants en grandes difficultés en compréhension en lecture ?
Dénaturation des métiers
Le collègue professeur des écoles embarqué dans cette expérimentation a connu une année difficile dans ce dispositif, avant de demander à le quitter. Son emploi du temps s’est morcelé, comme celui des collègues de collège. Son travail, d’ordinaire basé sur une pédagogie active, inspirée des travaux de C. Freinet, était devenu impossible, tandis que le groupe classe s’est trouvé totalement éclaté : les élèves de l’élémentaire passaient leur temps à sortir de classe, revenir, repartir, se plaignant de se retrouver avec en fort décalage avec les collégiens, auxquels on leur demandait de ressembler, en adoptant une attitude plus autonome, plus mature … à 9 ou 10 ans ! Comme souvent à l’Education Nationale, aucune formation, ni aucun temps dédié au travail en équipe n’ont été accordés au professeur des écoles (rappelons que le service de ces collègues est de 27h de classe hebdomadaire, en raison d’un travail de coordination moins important que pour les professeurs exerçant en collège, qui, en partie pour cette raison, assurent 18h hebdomadaire de face-à-face pédagogique).
Pour les collègues du collège, le SNES-FSU estime que ce type de mélange des statuts n’est pas neutre, et il fait peser à plus ou moins brève échéance, le risque de transformation des obligations réglementaires de service : le recours à la bivalence, à l’augmentation du temps face aux élèves, la possibilité de segmentation accrue du collège (déjà entamée avec le Cycle 3 "à cheval"), sont des pistes évoquées bien réelles, notamment par la Cour des Comptes, souvent très écoutée rue de Grenelle.
La vraie question est celle du service rendu aux élèves. Et là, on le voit, l’amélioration qualitative pour les élèves de ce type de structure est pour le moins … limité. Il place dans le même temps les collègues, professeurs des écoles comme du second degré, en difficulté professionnelle et donc en souffrance. Quel est, là encore, l’intérêt pour les élèves ? Aucun.
Publicité mensongère, véritable recherche d’économie
Devant le fiasco pédagogique, la décision a finalement été prise de considérablement amoindrir le dispositif au bout d’un an. Aucune évaluation transparente de cette expérimentation n’a été faite, mais on peut tout de même assurer qu’elle n’a pas aidé les élèves à mieux réussir … mettant même certains élèves fragiles en difficulté. Elle n’a pas non plus sauvé la moindre école rurale, ni amélioré l’arrivée au collège des élèves.
L’administration a donc mis fin d’elle-même à l’expérimentation : voilà donc la dure réalité du succès vanté par le Ministre de l’Education Nationale : une vulgaire publicité mensongère ! Mais ce type de montage a un intérêt sonnant et trébuchant pour un Ministre de l’Education Nationale qui préfère être populaire auprès des personnels du ministère du Budget, plutôt qu’auprès de ceux de son ministère propre, ou des parents d’élèves ! Voilà la véritable et unique raison de la création des Etablissements Publics des Savoirs Fondamentaux, que la profession combat actuellement en combattant la bien mal nommée « Loi pour l’Ecole de la Confiance ». Chacun aura compris qu’il s’agit d’une défense, non de quelques « prés carrés », mais d’une certaine idée de l’intérêt des élèves.